Abi (Rp solo)

[Février, il y a onze ans.
-Elle ne doit jamais savoir, répéta Gabrielle. Je ne veux pas qu’elle porte le fardeau de notre famille, qu’elle soit tourmentée toute de sa vie par les démons de notre passé. Promet-moi Kylian, promet-moi de ne jamais lui révéler les affres de notre sombre histoire, de ce qui nous unis dans le désespoir. Je ne veux pas qu’elle sache que nous avons acceptés que la pourriture s’étende dans nos racines, et que la déliquescence se déploie dans nos passions jusqu’à ce que celles-ci déclinent puis disparaissent à jamais, nous laissant démunis, dénudés face à l‘absence d‘émotion qui nous distingue désormais.

Kylian esquissa un sourire sarcastique puis répliqua.
-De belles paroles pour une couarde et une putain. Sache mère que je ne suis pas Thomas, je ne ressens rien pour toi, toi qui as laissé faire sans prendre la peine de résister au mal qui s‘insinuait. Tu n’as pas sut nous protéger, et tu voudrais que je protège Abigaël de tes propres erreurs ? Mère, tu ne vaux pas mieux que Jacob !
Vois avec quel dédain tu isole ta fille du reste du monde. Car sa vie n’a pas plus de sens pour toi que ta propre existence, tu la laisse moisir là, à même le sol, les cheveux désordonnés, coiffé de manière frénétique avec le peigne d’une vieille poupée. Et vêtue d’une robe déchirée comme les toiles d’araignées qui disséminé dans les coins sombres de sa chambre se dévoile à la lueur de la lune, semblable au fantôme d’une innocence bafouée, elle attend seule, des jours durant, le retour de sa mère indigne qui chaque semaine davantage brille par l’absence de chaleur, de compassion, ou d’amour.

-Je fais tout ce qui est en mon pouvoir, tempêta Gabrielle frappant du poing la lourde table de bois, qui à elle seule meublait la pièce. Son visage émacié, vieillit prématurément par les sévices dont elle avait été jadis victime ne fut affecté par aucuns sentiments. Car dans l’infortune et le dénuement, demeurait encore, enfouit au plus profond de son être, l’arrogance et le dédain qui caractérisait la noblesse de l’époque qui l’avait vue naître, grandir et s’épanouir.
Jacob est mort, continua-t-elle calmement. Il me fallait un travail, et ma condition de naissance n‘allait pas m’orienter vers un labeur dégradant et pénible. Quant à Abigaël, elle pourrait vivre d’une manière bien pis. Elle a de quoi se nourrir, non ? Elle me remerciera probablement de ma sollicitude une fois qu’elle sera assez grande pour pourvoir seule à ses besoins…

-Assez ! Mugit-il, tout en percevant la haine qui parcourait à vive allure ses membres, et qui comme une multitude de braise le consumait jusqu’au plus profond de lui-même.
J’étais venu te voir dans l’espoir que l’amertume qui imprégnait ton âme depuis la mort de mon père, fut estompée avec la mort de Jacob. Mais, je constate que je me suis lourdement trompé. Aussi, bien que je n’éprouve rien pour Abigaël, et ne la considère pas comme ma demi-sœur, c’est une enfant, elle ne peut donc faire de choix librement, et il appartient aux adultes de faire ce qu‘il y a de mieux pour elle…Et puisque tu recommences avec Abigaël, ce que tu as fait avec Cécile, il est de mon devoir d’empêcher que cela se reproduise, qu’un autre enfant meurt par ta faute…

-Je ne ferais jamais de mal à mon enfant, contesta t’elle. Quant à Cécile, c’est…c’est de la faute de Jacob. Elle aurait fini par apprendre, Jacob le lui aurait dit.
-Il n’avait pas l’intention de la tuer ! Idiote !
-Il l’aurait fait souffrir ! Et je ne pouvais pas l’accepter !
-Alors tu l‘as tué, pour évité qu’elle souffre ?
-Oui…Murmura-t-elle.
Kylian ne comprenait pas comment sa mère en était arrivé à une telle ignominie, d’ailleurs, il ne pourrait sans doute jamais la comprendre. Il se redressa, observa longuement le visage de sa mère. Il n’y discerna aucuns remords, rien, pas la moindre expression.
-Et si je le disait à Abigaël ? Émis-t-il
-Je…
-Tu la tuerais, dénonça-t-il. Tu n’aurais aucuns scrupules à l’étrangler dans son sommeil car tu ne veux pas qu’elle sache, tu ne veux personne pour témoin. Mais le passé te rattrape, mère, et bien que tu essaye d’y échapper, tu ne peux le faire. Il sera toujours là, comme une ombre, quoique tu dises, quoique tu fasses, il fait partie intégrante de toi.
-Et que va tu faire ? Répliqua-t-elle froidement. Me tuer pour empêcher que cela se reproduise ? C’est ma fille et je décide ce qui a de mieux pour elle. J’ai le droit de vie ou de mort sur elle…

Kylian d’un geste brusque renversa la lourde table de bois sur Gabrielle, qui surpris par la violence du choc eut le souffle coupé. Coincée par le poids de la table, elle ne pouvait plus faire le moindre mouvement. Kylian s’approcha lentement d’elle, les yeux perdus dans le vide, s’abaissa, puis déposa ses mains sur son cou, l’écrasant si fortement qu’il enfonça ses doigts dans la chair. Quelques minutes plus tard, elle était morte, étendue là, sur le sol, les yeux écarquillés encore imbibés des larmes qui aux dernières lueurs de sa vie s’étaient brisées sur les flancs de son visage, comme le vague reflue d’un passé révolue.
Kylian contempla une dernière fois sa mère, puis se releva, remarquant avec stupeur qu’un homme l’observait depuis peu de l’encadrement de la porte. Derrière lui se trouvait une petite fille dont les yeux de jades semblaient percés son âme, laissant à nue la haine qui l’avait conduit à tuer sa mère.
-Thomas, soupira Kylian.
-Notre famille est maudite, marmonna l‘homme, avant de tourner le dos à Kylian. Viens Abi, tu n’as plus rien à faire ici, ajouta-t-il calmement. Il tendit la main à la petite fille, qui aussitôt l’agrippa, puis quitta en sa compagnie l’encadrement de la porte en s’engouffrant dans le couloir, léguant à Kylian la solitude induite par son acte. ]


La nuit était tombée, les oiseaux s’étaient tus, muselés par la crainte de l’obscurité que nulle chant même infime ne pouvait glorifier. Car désormais, dans les ténèbres, régnaient ces prédateurs à l’oreille subtil, qui d’une manière si habile étaient capable de saisir le moindre craquement, bruissement, murmure ou râle, en somme tout les grouillement de vie qui émanaient de la forêt, pour pouvoir distinguer leurs proies dans le noir absolu et se jeter dessus sans scrupule afin de les déguster.

De temps à autre, quittant provisoirement les nuages qui dévoraient son auguste lueur, la belle lune, céleste et bienveillante se profilait entre les étoiles, illuminant tantôt quelques secondes, tantôt quelques minutes, les entrailles de la forêt comme une cierge, que l’on aurait suspendue sur le firmament.
Ainsi éclairés, quelques animaux intrépides émergeaient de leurs torpeurs, de leurs abris précaires pour s’empresser de trouver de quoi se nourrir. Mais lorsque la lune était de nouveau happée par les nuées de nuages qui parcouraient le ciel de long en large, la plupart de ces animaux rejoignaient rapidement leurs refuges, car bien que poussés par la faim, leurs instincts de survie leurs dictaient de ne pas demeurer dans le noir. Les autres, les plus insouciants, ne regagnaient jamais leurs cachettes.
En cette nuit, comme toutes les autres, la lutte pour la survie se perpétuait sans relâche, car il n’y avait nulle autre alternative pour que la vie puisse proliférer.
En cette nuit, trois personnes s’enfoncèrent dans les profondeurs de la forêts…
La première était une femme d‘une trentaine d‘année aux cheveux roux et aux regard dément. Derrière lui, suivait un homme du même âge aux long cheveux châtains dégoulinant sur son visage hâve. Ce dernier transportait une femme sur le dos qui semblait endormie, Abigaël

(A suivre)