Je montais debout sur le banc de pierre qui avait été le théâtre de mon chant. On pouvait déjà entendre les pas pressés des elfes pieux qui quittaient le sanctuaire, rappelés dans le monde par leur obligations.
Du regard, je cherchai un horizon perdu dans la brume,une terre sauvage encore, que les hommes n'avaient point encore découvert réellement, car elle leur inspirait une peur sans nom.
Je la trouvai.Le regard jaune du Corbeau retrouvait toujours son domaine...
Je tendis lentement un bras frissonnant vers Lucya, l'invitant à me rejoindre sur l'étroit bloc de pierre gris-bleue. Je la rassurai par quelques mots calmes quand, pour assurer son équilibre, je saisis ses hanches et son bras de par derrière elle dans un élan d'une hardiesse qui me stupéfia moi même:
-N'ayez crainte, belle prêtresse. Voyez là, vers le Septentrion oriental où mourut Ekhi, fils de Mélindaë... La voyez vous, cette terre de brumes et de glace? La voyez vous, la fière Montagne-mère qui accueillit autrefois le Soleil? L'apercevez vous, cet éclat d'argent, qui n'est autre que celui de la Mer d'Orient, le Grand Océan dans lequel le dieu perdit la vie?
C'est là que tout commença pou moi. Ma vie noya son cours dans celui du Fleuve Eternel sur cette montagne, dans le cri que je poussai lors de la délivrance de ma mère.Je fut très vite pris en charge par le barde sacré du clan, car c'est ce rôle qui échoit au troisième fils du seigneur...Une branche de frêne, un rameau de chêne et des écorces de bouleau blanc furent brûlés pour marquer le début de mon initiation...Et là, le récit de ma vie commence.
Et je lui racontai tout.Je vidai mon âme en elle, réceptacle nouveau de mon histoire aux traits si envoutants...
Un silence enveloppa la fin de mon récit, et, au paroxysme de la folie ainsi rapprochée d'elle, je déposai un baiser unique sur sa joue douce comme l'été...Aucune violence, aucune brusquerie, mais je crus sentir les foudres des dieux s'abattre sur moi.
Je ne craignais plus rien, même si le Secret que je conservais au plus profond de mon cœur demeurait scellé à tout jamais.